Par un après-midi de novembre, dans le plus grand supermarché du quartier de Shuja’iyya, dans la bande de Gaza, pour la première fois, le propriétaire Mohammed Ezz se retrouve à contempler des rayons vides. La hausse de l’inflation a poussé les prix des biens de consommation à leur plus haut niveau depuis 2010, rendant le coût du réapprovisionnement inabordable pour l’épicier de 34 ans. Avec des ventes en baisse et une file d’attente au coin de la rue pour l’aide alimentaire, il s’inquiète que ses clients n’aient plus les moyens d’acheter chez lui.
"Parce que les prix augmentent de façon folle, j’ai peur que les gens ne soient pas en mesure de payer", dit Ezz. Il est alors interrompu par une personne circulant dans les allées qui l’a arrêté pour marchander le prix d’un produit, alors que chaque article est déjà étiqueté. Certains clients quittent le magasin quelques minutes après y être entrés, sans rien emporter, pour se rendre dans un autre supermarché afin de comparer les prix.
"J’ai été choqué par les prix lorsque je suis allé chercher les denrées alimentaires mensuelles au supermarché", a déclaré Ibraheem al-Haj, 45 ans, un père de famille aux cheveux grisonnants qui se tient au chaud dans un pull trop grand. Al-Haj vit à Shuja’iyya et travaillait auparavant comme maçon. Aujourd’hui, il est au chômage, un phénomène courant dans la bande de Gaza où le taux de chômage avoisine les 50 %.
"Tout est plus élevé, même les aliments de base. Les lentilles sont passées de 3 à 7 NIS", a déclaré al-Haj. "Je n’ai pas de travail pour faire face à ce nouveau style de vie, je n’ai rien à offrir à mes cinq enfants à nourrir, je me demande comment je peux supporter ces conditions", a-t-il poursuivi.
Comme 80 % des Palestiniens de Gaza, al-Haj reçoit une forme d’aide alimentaire et son régime est complété par des aliments de base peu coûteux qu’il étire en préparant des soupes à base de légumineuses.
"Nous faisons un dîner de lentilles deux fois par semaine pour donner un bon repas aux enfants", a-t-il expliqué. "C’était un repas bon marché, mais maintenant ce n’est plus un repas bon marché".
Pour les familles les plus pauvres de Gaza, les lentilles sont une alternative à un plat à base de viande. Elles sont riches en protéines et faciles à préparer. On le prépare en mélangeant des lentilles corail bouillies, de l’eau et de l’oignon frit, et on le sert avec un morceau de pain. C’est un aliment de base pendant les mois d’hiver froids et pluvieux. Mais de nombreuses familles constatent que même les lentilles sont hors de portée de leur budget.
Selon le Programme alimentaire mondial, le coût des lentilles à Gaza a augmenté de 22,3 % entre octobre 2020 et octobre 2021. La farine a également augmenté de 19,3 % au cours de la même période, ainsi que les épices, comme le sel, de 12,5 %, et l’essence de 17,1 %.
"Les prix des produits de base et des denrées alimentaires connaissent une augmentation à l’échelle mondiale", a déclaré le PAM dans un récent rapport mensuel sur le marché. "Cette augmentation a été observée sur les marchés locaux palestiniens depuis le début du mois d’octobre".
Les économistes prévoient que les prix resteront à ce niveau jusqu’à ce que l’inflation mondiale diminue. Pour aggraver les crises à Gaza, la valeur de la monnaie locale, le nouveau shekel israélien, a atteint son plus haut niveau depuis 26 ans, ce qui rend la vente de marchandises en dehors de Gaza plus difficile, car l’instabilité de la monnaie entrave la compétitivité des marchandises sur le marché international. En février 2020, 1 dollar s’échangeait contre 3,80 NIS. À la mi-novembre, il était tombé à 3,08 NIS. La dernière fois que le taux de change shekel-dollar est tombé en dessous de 3 dollars, c’était en 1995.
Israël stabilisait auparavant la valeur du shekel par rapport au dollar par le biais d’achats de devises étrangères, mais un changement de politique a entraîné une flambée sans entrave.
Pour alléger le fardeau des prix élevés, le ministère de l’économie de Gaza a temporairement suspendu la taxe sur neuf produits de base, dont la farine, le sucre, le riz, l’huile, le ghee, les haricots, les lentilles et l’orge. Le ministère a également déclaré qu’il subventionnera également 20 % des services publics pour les installations industrielles de Gaza et 16 % des coûts pétroliers jusqu’au 1er mai 2022.
"Les prix élevés ont des répercussions qui mettent les Palestiniens de Gaza dans une situation très dangereuse", a déclaré Abdel-Fattah Abu Mousa, le directeur général au ministère de l’Économie à Gaza. "La plupart des familles n’ont pas de revenus pour faire face à cette augmentation".
Ibraheem al-Haj, le client du marché de Shuja’iyya, a fini par quitter le magasin sans rien acheter. "Venez voir mon frigo, il est vide, et on dirait qu’il va rester vide avec ces nouveaux prix", a-t-il dit.
Traduction : AFPS